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La formation du silex

Le silex est une concrétion

Actuellement moins de 3% de la silice biogénique est préservée dans le sédiment. La reprécipitation de la silice conduit à sa préservation. Dans le cas d’une forte productivité, une boue riche en calcite et silice se dépose sur le fond. La boue crayeuse est riche en matière organique.
Sous la surface, les bactéries aérobiques dégradent la matière organique et appauvrissent le sédiment en oxygène. Privé de cet oxygène, ce type de bactéries décline vers le bas. Les bactéries aérobiques entraînent la formation de produits finaux tels que le dioxyde de carbone et l’eau.
En profondeur, dans la boue organique, prolifèrent alors les bactéries sulfato-réductrices (BSR). La matière organique (MO) est oxydée, les BSR utilisant les sulfates (SO4 2-), les nitrates ou le fer, comme agent oxydant (accepteur d’électrons alternatifs). La réaction produit des sulfures dissous (de l’hydrogène sulfuré, H2S).  En présence de phases réactives du Fer (oxyhydroxydes de Fe), il se forme des sulfures de Fer (essentiellement de la pyrite). Du fait de la pauvreté en Fe de la boue crayeuse (pas ou peu de minéraux argileux), l’H2S ne peut réagir avec cet élément et précipiter de la pyrite.

Des réactions vont se produire à la frontière redox, c’est-à-dire entre la boue bactérienne anoxique inférieure et la boue riche en oxygène supérieure (à une profondeur d’environ 30 cm dans les sédiments actuels, ne dépassant pas le mètre). Cette frontière est susceptible de fluctuations verticales, particulièrement vers le bas si les eaux marines sont plus oxygénées.
En ce cas, le gaz H2S se dissocie, s’oxyde en sulfate et produit des protons qui diminuent donc le pH ( = augmentent l’acidité), selon la réaction :

  • H2S + 2O2 → SO42- + 2 H+

La calcite réagit et tend à disparaître ce qui entraîne une forte concentration en ions carbonate.

  • H+ + CaCO3 → Ca2+ + HCO3

La calcite est substituée par la silice si la concentration de cette dernière atteint un certain seuil.
La silice précipite plus facilement en conditions oxydantes (potentiel d’oxydoréduction Eh élevé). Alors que la silice est plus soluble dans les conditions réductrices (Eh faible).
La précipitation de la silice est favorisée par des températures basses.

Des discontinuités dans la boue (restes organiques, terriers tapissés de mucus, fissures ou fractures, zones à faible porosité) servent souvent de germes sur la paroi desquels la silice se met à cristalliser et à les pseudomorphoser. En particulier, les animaux fouisseurs pompent l’eau de mer et en irriguent le sédiment, provoquant une diffusion de l’oxygène et une dégradation de la matière organique. L’oxydation du carbone organique conduit à la suite de réactions suivante :

  • CH2O + O2 → CO2 + H2O → HCO3 + H+

À la suite, la silice secondaire formée, une variété d’opale dite opale C-T car elle est constituée d’une interstratification de cristobalite (C) et de tridymite (T) de basse température, se propage dans le sédiment sous forme de petits cristaux lamellaires ou de microsphérules d’environ 10 μm appelées lépisphères. Ces lépisphères forment un réseau d’aggrégats très lâches. Elles peuvent ne plus évoluer dans les craies argileuses.
La disponibilité d’ions Mg2+ et d’ions OH− (pH élevé) favorise la cristallisation de l’opale C-T.

Lépisphère d’opale C-T à structure lamellaire, cliché MEB de M.L. Hjuler (2007

L’opale C-T, métastable, va évoluer au cours de la diagénèse et de l’enfouissement. Elle se transforme en quartz alpha (ou en moganite), en passant d’un état microcristallin à un état cristallin fibreux, la calcédoine. Cette transformation ne s’opère que sous une charge de 50 à 100 mètres de sédiment. C’est l’opinion générale, mais certains pensent que les deux silicifications (opale CT et calcédoine) se réalisent indépendamment. La calcédoine remplace point par point la calcite de la craie. Le protosilex va ainsi grossir et, par dilatations successives, former un banc complet.
Les réactions chimiques qui initient la formation du silex s’opèrent à la frontière des boues dominées par H2S et de celles dominées par O2. L’hétérogénéité du sédiment peut beaucoup affecter la géométrie du front redox. En particulier, les galeries des animaux fouisseurs sont remplies d’une boue plus fraîche, plus perméable aux fluides contenant les gaz dissous. C’est donc au niveau des parois de ces anciennes galeries que s’amorce la primo-silicification. Le squelette du silex reflète donc, au moins en partie, la géométrie du terrier primitif.

Réseau de terriers - Grainval

Réseau de terriers silicifiés – Grainval

Certains silex sont creux car la silicification primaire est incomplète. La circulation de l’eau dans la cavité conduit parfois à une dissolution ou une précipitation de silice secondaire sous forme de calcédoine mamelonnée aux jolis reflets bleutés ou encore de petits cristaux de quartz mimant une géode.

Géode à cristaux de quartz dans un galet (plage d'Etigue)

Géode à cristaux de quartz dans un galet (plage d’Etigue)

Etapes de formation des silex

D’autres théories (Lindgreen et Jakobsen) supposent que la principale source de quartz résulte de la dissolution des radiolaires. Le quartz alpha est présent dans la craie sous forme de nano-particules. Ces particules sont très semblables à celles trouvées dans les silex. Ces particules se seraient formées par cristallisation dans la phase eau-libre à partir de la silice relâchée par les radiolaires constitués d’opale C-T.  Dans l’eau de mer, ces cristaux ont une tendance à la floculation. En cas de floculation importante, ils peuvent donner des silex. La dissolution des coccolithes calcaires peut favoriser cette évolution.  La décroissance du pH requiert la présence d’un agent acidifiant. Ce dernier peut être le CO2 relâché par les éruptions volcaniques.
Cette théorie semble surtout valable dans la partie profonde des bassins (Mer du Nord) avec un apport de silice par les radiolaires. Sur le shelf moins profond, l’apport de silice est principalement dû aux Eponges siliceuses.

Mais pourquoi la cyclicité des silex ?

La réaction faisant disparaître la calcite au profit de la silice au niveau du front redox est lente et, dans le cas général, elle ne s’amorce pas. Un équilibre se produit entre la sédimentation sur le fond et le déplacement du front vers le haut, stabilisant le front redox à la même profondeur dans la boue. Pour rompre cet équilibre et déplacer le front redox vers le bas, il faut changer les conditions chimiques sur le fond et augmenter le potentiel d’oxydation. De telles conditions se produisent si les eaux de fond s’enrichissent en oxygène, ce cas pouvant advenir si des eaux froides, donc renfermant plus d’oxygène dissous, sont amenées par des courants. Un changement dans le régime des courants de fond, à l’échelle du bassin, est l’hypothèse la plus vraisemblable.
Cas 1 : Un renforcement des upwellings lié à une variation climatique cyclique, donc d’origine astronomique, est ici mis en avant.
Cas 2 : Une ouverture océanique libérant des eaux froides boréales.
Ces conditions sont encore favorisées lorsque l’espace d’accommodation est maximal (Prisme de Haut Niveau, MFS).
Certains auteurs (Lindgreen et al., 2001) attribuent l’acidification de la boue à l’augmentation du CO2 atmosphérique liée à des éruptions volcaniques. La forte activité volcanique des dorsales a eu aussi pour conséquence de libérer dans l’eau une forte quantité de Ca et de Si. Mais ces processus ne rendent pas compte de la cyclicité des silex, ils favorisent par contre leur précipitation.
Pour d’autres auteurs , Frölich (2006) par exemple, la formation du silex est autocyclique (à l’image de la clepsydre), la précipitation du silex se déclenchant quand une certaine épaisseur de boue crayeuse s’est sédimentée. Mais cette interprétation ne correspond pas à l’observation sur le terrain. En particulier au niveau des monticules et cuvettes, où l’on suit individuellement chaque niveau de silex, l’épaisseur de l’interbanc crayeux est très variable.
Aujourd’hui, aucune étude détaillée ne s’est vraiment penchée sur l’interprétation des rythmes de silex. Seul P. Montgomery (1994) a tenté un comptage des silex qu’il a rapporté à une durée estimée :

Scratchell Bay : 243 cycles pour 4,219 Ma (chron 33R), soit un cycle de 17362 ans;
Culver Cliff : 429 cycles pour 7,68 Ma, soit un cycle de 17902 ans;
Seaford Head : 18981 ans.

Ces estimations reposent sur des données discutables, mais elles vont dans le sens d’un cycle précessionnel.

Courants d’upwelling balayant le bord de la plate-forme

Formation des silex sous l’effet d’upwelling, fonction de la topographie sous-marine

On peut rapprocher la cyclicité des silex à celle des cherts constatée dans des séries d’âge différent. Par exemple, les séries à cherts du Trias supérieur – Jurassique inférieur au Japon (Ikeda et Tada, 2014). Dans ce cas, le cycle élémentaire est formé d’un couplet chert-shale. Les auteurs numérotent les silex et mesurent l’épaisseur de chert et de shale. Ils partent de l’assomption que le cycle élémentaire est d’origine précessionnelle (∼ 20 ka). Leur ananalyse est conduite dans le domaine des numéros de couches plutôt  que dans celle des profondeurs. Ils détectent une modulation par une cyclicité, considérée d’excentricité (405 ka), tous les 20 couches en moyenne (16 à 28).

Pourquoi des craies sans silex ?

Toutes les craies n’ont pas la même abondance en silex, certaines même n’en contiennent pas. Ces variations sont à la fois spatiales (paléogéographiques) et temporelles (stratigraphiques).

  1. Les zones de sédimentation considérées comme plus profondes, celles où les condensations stratigraphiques sont rares et les hard-grounds moins marqués, comme l’axe Dieppe-Sussex, sont moins riches en silex.
    Près des côtes, le mélange d’eaux marines saturées par rapport à la calcite avec des eaux météoriques peut amener l’eau intersticielle à être sous-saturée par rapport à la calcite. Les zones de mélange côtières peuvent être simultanément sursaturées par rapport à l’opale C-T et sous-saturées par rapport à la calcite.
  2. Certains niveaux comme les craies de la limite Cénomanien-Turonien et du début du Turonien sont dépourvus de silex.

Dans le premier cas, on peut penser que la profondeur diminue la concentration en oxygène dissous et réduit l’épaisseur de boue oxyque.
Dans le second cas, on peut penser que des effets climatiques, modifiant la stratification ou l’oxygénation des mers, comme l’OAE 2 ou les différentes pulsations de l’OAE 3, bloquent la formation des silex.