Le climat d’alors
La paléothermométrie est l’étude des températures du globe terrestre enregistrées dans les roches au moment de leur formation. Pour les sédiments marins, on se réfère souvent à l’analyse chimique des tests de foraminifères. 3 principales méthodes sont retenues :
– Le δ18O (rapport de 18O sur 16O) est en rapport avec le volume des glaces (les glaces piègent préférentiellement l’isotope léger δ16O. Plus le δ18O est élevé, plus il y a de glaces.
– Les rapports Mg/Ca and Sr/Ca : un rapport Mg/Ca élevé signifie une température élevé, le rapport Sr/Ca dans les coraux varie en fonction inverse de la température.
– Les alkénones sont des molécules organiques produites par quelques espèces d’algues. L’indice de non-saturation ( UK′37 ) de Müller est proportionnel à la température des eaux de surface.
De manière un peu schématique, on identifie dans l’histoire de la terre :
– des périodes de « greenhouse » (serre),
– des périodes de « icehouse » (glacière).
La diversité et l’abondance des assemblages de foraminifères planctoniques, de coccolithes indiquent que le climat sous lequel la craie s’est formée était de type tropical et que la température des eaux de surface était d’au moins 20°C (voir les valeurs de δ18O). Les glaces ne recouvraient pas (ou alors très peu) les pôles. On parle parfois de climat « à effet de serre » en évoquant le Crétacé. Les récifs, les marécages et même les dinosaures pouvaient atteindre ou dépasser des latitudes supérieures à 60°. La composition des gaz atmosphériques était différente, avec notamment plus d’O2 et de CO2 (de 1,5 à 8 fois plus de CO2 qu’aujourd’hui, Berner, 1994).
Voici un premier graphique (Pucéat et al., 2003) montrant l’évolution des températures moyennes au Crétacé basé sur les valeurs du δ18O, ce paramètre étant généralement considéré comme un bon thermomètre.
Ce graphique (Jenkyns et al., 2004) montre l’évolution des températures de surface de la mer de la craie, au Sud de l’Angleterre, soit à une paléolatitude d’environ 40°N (correspondant à la Sardaigne actuelle), soit une dizaine de degrés plus au Sud.
La température moyenne de l’eau de mer de surface a pu atteindre 28°C à la limite Cénomanien – Turonien dans le bassin anglo-parisien, 30-32°C en Turquie (Yilmaz, 2010),mais peut-être des valeurs extrêmes de 42°C dans l’Atlantique équatorial (Bice et al., 2006). C’est un des moments les plus chauds de l’histoire de la terre (O’Brien et al. 2017), une époque à effet de serre que caractérisent :
- des niveaux extrêmes de CO2 atmosphérique,
- un mode particulier de circulation thermohaline,
- une anoxie marine fréquente.
Ensuite, les températures vont tendre à décroître tout en restant globalement fortes.
Dans les environnements profonds, océaniques ou de talus, principalement à partir du sommet du Cénomanien et jusqu’au Maastrichtien, des marnes ou des scaglie rouges, riches en hématite et goethite finement disséminées, se déposent avec un faible taux de sédimentation. On les appelle des CORBs (upper Cretaceous Red Beds). Le Carbone Organique Total (TOC) y est très faible (inférieur à 1 pour mille). Ces CORBs témoigneraient du plongement vers les profondeurs d’eaux de surface froides et en conséquence bien oxygénées. On passerait ainsi d’épisodes euxiniques (= riches en H2S) ou OAEs (Oceanic Anoxic Events) à des périodes fortement oxiques plus longues ou CORBs associées à une forte ventilation océanique. La transition OAE/CORB, et vice-versa, est brutale, alors que les périodes anoxiques et oxiques peuvent durer de un à deux millions d’années.
Les causes des OAEs ne sont pas élucidées avec certitude et sont sans doute multiples. L’hypothèse la plus vraisemblable est le largage dans l’atmosphère de gaz à effet de serre entretenu par le magmatisme et la tectonique. La somme des effets des LIPs (Large Igneous Provinces, comme Ontong Java, Kerguelen, Caraïbes et Madagascar) et des MORs (Mid Oceanic Ridges) est particulièrement importante au cours de tout le Crétacé (Coffin et al., 2006). Ce phénomène peut être amplifié par l’injection massive de méthane piégé dans les clathrates (composé cristallin enfermant le méthane).
Au Turonien, deux phases de refroidissement sont enregistrées (Wiese & Voigt, 2002) par un accroissement du delta 18O et une migration vers le S des taxa:
- première phase dans la zone à Collignoniceras woollgari (appartenant au Turonien moyen) (-91,0 à -90,6 Ma) ,
- seconde phase dans la zone à Subprionocyclus neptuni (-90,1 à -89,7 Ma) correspondant au hardground Hitchwood, au sommet du Chalk Rock.
Un pic positif du δ18O relevé sur une carotte forée sur le Demerara Rise (Atlantique équatorial au large de la Guyane) conduit Bornemann et al. (2008) à proposer un épisode de glaciation. Celui-ci est situé au sommet du Turonien moyen, à la limite des zones CC11 et CC12, mis en équivalence avec l’événement Pewsey de Jarvis et al. (2006). Rappelons que cet événement se place entre les marnes Glynde et la marne Southerham.
Cette phase de refroidissement du Turonien supérieur est également précisée par Jarvis et al. (2016).
Un net refroidissement est enregistré dans la Bassin nord-germanique au Maastrichtien inférieur (Friedrich et al., 2005).
Un proxy est utilisé pour évaluer les températures anciennes. Il s’agit du TEX86. Ce paléothermomètre est basé sur l’étude des lipides de membrane de Thaumarchaeota (phylum du groupe des Archées) marines. Le degré de cyclisation des chaînes lipidiques croît avec la température.
Piégeage du CO2 dans la craie
Un petit calcul montre le rôle essentiel de la formation de la craie dans le piégeage du CO2 atmosphérique et, inversement, le rôle de l’attaque acide de cette craie dans le relargage de ce gaz.
Une mole de CaCO3 (composant essentiel de la craie) réagit à l’acide en produisant 22,4 l de CO2 soit 44 g.
Ou encore 1 kg de craie produit 224 l de CO2.
Pour une craie ordinaire de densité 1,7 :
1 m3 de craie piège 380 800 l de CO2.
Un petit exercice pour réviser son baccalauréat et proposé par le Monde : Origine des modifications climatiques au Crétacé supérieur