L’événement anoxique OAE 2
Vers -93,6 Ma, donc vers la fin du Cénomanien, se produit l’événement océanique anoxique OAE2 au cours duquel les océans s’appauvrissent en oxygène et une grande quantité de matière organique est séquestrée dans les sédiments profonds (black shales). Les up-wellings de ces eaux sous-oxygénées sur les plate-formes vont induire la disparition d’environ 27% des genres marins (mollusques, foraminifères planctoniques, nannoplancton). Dans les bassins d’Europe de l’Ouest, les black shales sont également présentes : en Mer du Nord (Black Band Bed), dans le Bassin nord-germanique (Formation Hesseltal), en Italie (niveau Bonarelli). Sur les marges de ces bassins, ce sont les hard-grounds et les dépôts condensés qui prédominent (Bohême).
Une excursion positive du δ13C marque cet événement. Ceci tient au fractionnement isotopique opéré par les végétaux : les végétaux s’enrichissent préférentiellement en carbone 12 ou carbone « léger ». Si la matière organique « légère » est séquestrée dans les sédiments profonds (black shales) alors, par différence, le carbone « lourd » devient plus abondant dans l’environnement (le δ13C augmente).
L’excursion positive est observée dans toutes les phases du carbone (carbone organique, carbonates, carbone organique terrestre). Elle est comprise entre 2 et 7°/°° avec une moyenne à 3°/°°.
Les phénomènes sur les plate-formes sont plus complexes. L’élévation concomitante du niveau marin à la limite C/T (Cénomanien / Turonien) est une des plus fortes enregistrées.
Les caractéristiques essentielles de l’OAE2 y sont (Nzoussi, 2003) :
- Une extension téthysienne de courte durée (environ 0,5 Ma);
- une teneur élevée en M.O. essentiellement marine;
- une anomalie positive très élevée de δ13C;
- une teneur élevée en certains éléments-traces : Ag, Cd, Mo, Sb, V, Zn;
- un taux de sédimentation faible, l’ « usine à carbonates » tourne au ralenti, probablement soutenue par une acidification des eaux;
- une rareté des bioturbations;
- une pauvreté en faune benthique.
On peut ajouter (Scaife et al., 2017) que l’OAE2 et le MCE montrent une augmentation de la concentration en Hg et du rapport Hg/TOC.
Les causes de cet événement ne sont pas encore totalement élucidées (par exemple, des anomalies en iridium conduisent certains auteurs à le comparer à l’impact météoritique de la limite K/T). Parmi les causes probables :
- la vaste transgression qui étend les mers épicontinentales favorise le développement de la productivité primaire marine et détruit les forêts des plaines basses;
- les températures élevées et surtout le faible gradient latitudinal qui ralentit la machine thermique. Le forçage de l’élévation de température serait dû à l’enrichissement en CO2 atmosphérique (pCO2 estimée à 7-8 fois celle d’aujourd’hui) et à l’augmentation concomitante de l’effet de serre. Le cycle hydrologique s’accélère, accroît l’érosion continentale, accroît les apports de nutriments aux lacs et aux océans et accroît la productivité organique. Le flux important de matière organique réclame une demande en oxygène dans la colonne d’eau.
- la configuration latitudinale de la Téthys qui ralentit les échanges entre les eaux polaires et les eaux chaudes et favorise la stratification thermohaline; la stagnance des eaux conduit à l’expansion de la zone à minimum d’oxygène;
- l’enrichissement des eaux océaniques par le CO2 mantellique (dorsales, points chauds caraïbe et Ontong Java).
Les 2 événements MCE et OAE2 pourraient être liés chacun à une pulsation magmatique, peut-être la mise en place des LIPs de l’Océan Pacifique et/ou de l’Arctique élevé. L’enrichissement en Hg (Scaife et al., 2017) des sédiments est un des arguments en faveur de cette hypothèse.
Des modifications isotopiques (rapports 206Pb/204Pb, 207Pb/204Pb, 208Pb/204Pb et osmium 187Os/188Os) dans les sédiments sont synchrones dans les black shales de l’OAE2 à l’échelle mondiale (Ohkouchi, 2015). Les cycles du Fe et du Zn sont affectés.
L’OAE2 correspond à un maximum de l’excentricité longue (Gale & Voigt, 2006). Les effets du signal climatique précession/excentricité ont dû être amplifiés par un dégazage volcanique important. 3 phases se succèderaient ainsi (suivre courbe du δ13C sur la figure suivante) :
1) baisse eustatique de 10 m à la base de la zone à geslinianum (peu avant la fin du Cénomanien, avant les marnes à plenus) liée au forçage astronomique, augmentation de la productivité liée aux apports nutritifs des rivières et augmentation du δ13C ;
2) réduction de la pCO2 de l’atmosphère et de l’effet de serre qui lui est attaché, refroidissement brutal témoigné par le δ18O et par des extinctions d’espèces biologiques et des changements de type de faune au début du Turonien.
3) dégazage volcanique, augmentation de l’effet de serre, élévation du niveau des mers de 20 m, anoxie océanique et augmentation du δ13C.
L’anomalie en osmium (Turgeon & Creaser, 2008) dans les couches de Furio (Italie) et du forage ODP 1260B, contemporaine de la formation de la plaque caraïbe indiquerait que volcanisme profond mantellique serait responsable de cette période anoxique.
Dans le Bassin du Western Interior aux USA, l’événement isotopique est également bien marqué. Un certain nombre de niveaux de bentonite ont été repérés et permettent le calage entre différentes coupes. L’extrapolation des excursions isotopiques et des bentonites au Bassin Anglo-Parisien n’est pas assurée.
Des études récentes basées sur l’Osmium 192 suggèrent que 3 pulsations magmatiques se seraient produites pendant l’OAE2 (Sullivan et al., 2020).
Age de l’OAE2
Début | Fin | Auteur |
-93,95 | -93,4 | Jarvis et al. (2011) |
-94,5 | -93,7 | Batenburg et al. (2016) |
La forte accumulation de matière organique au cours de l’OAE2 revêt une importance économique car elle est associée à une des plus grandes ressources pétrolières, à ce jour.
Les événements océaniques anoxiques (OAEs) sont des événements géologiques importants qui peuvent avoir des analogies avec la désoxygénation future de nos océans, forcée par le climat.
Apports liés au réchauffement
Le réchauffement augmente l’altération des roches silicatées et carbonatées.
1 – Les ions carbonates en solution augmentent. L’usine à carbonate marine fonctionne au ralenti.
2 – Des ions ferreux et phosphates issus des roches silicatées sont distribués dans l’eau de mer.
Rétroaction (feed-back) de l’OAE2 ou « weathering thermostat » ou thermostat terrestre
En 1981, des géologues ont proposé que l’altération chimique de roches comme le granite puisse extraire le gaz à effet de serre du dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère et, ce faisant, refroidir la Terre.
À mesure que le refroidissement progresserait, les taux de réaction d’altération chimique diminueraient, davantage de CO2 resterait dans l’air et le réchauffement de la planète recommencerait.
De nouvelles recherches présentées le 14 août lors de la conférence Goldschmidt 2017 à Paris ont présenté des données chimiques révélatrices provenant de roches anciennes. Les données indiquent que la baisse des températures, lors d’une glaciation il y a environ 445 millions d’années, a déclenché un processus conduisant à une période de nouveau réchauffement.
En combinant ces nouvelles découvertes avec des études de modélisation antérieures, nous disposons pour la première fois de données empiriques réelles sur le thermostat, et donc sur le mécanisme qui maintient la Terre habitable .
Trouver un thermostat n’offre cependant aucun espoir face à la situation difficile actuelle de l’humanité en matière de changement climatique. Le thermostat climatique contribue à réchauffer et à refroidir la planète à l’échelle de centaines de milliers d’années, ce qui est trop lent pour contribuer à modérer l’augmentation importante moderne du CO2 atmosphérique provoquée par l’activité humaine.
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